Jeune fille tenant un bouquet de tulipes, v. 1878 ; Renoir

Huile sur toile, 55.4 x 46.4 cm

Collection privée

 

N° 10 / 23-1998 (05/05/1998) chez Christie’s, New York ; Estimation : $15,000,000 – $20,000,000

Sotheby’s, London, 03/12/1975, lot 22

 

Aucun sujet de peinture n’a autant fasciné Renoir que le jeune modèle féminin. En effet, il a souvent dit qu’il était devenu peintre en particulier parce qu’il aimait peindre des femmes. Alors que les baigneuses nus peuvent être ses plus célèbres essais sur le sujet, à travers sa carrière il est toujours revenu  au format de la présente image: un portrait de jeune fille vue de profil (souvent profil perdu), associée à des fleurs et posée contre un fond brillamment coloré. Ses premiers essais sur ce thème  date d’environ 1860, et il a continué  à produire des images de ce type jusqu’à la fin même de sa vie et carrière.

Le présent travail, Jeune fille au bouquet de tulipes, date de la fin des années 1870, un des sommets de l’activité de Renoir, et est un traitement, pleinement caractéristique, même exemplaire, du sujet. Il est d’un intérêt supplémentaire puisque le portrait peint probablement Aline Charigot, la future femme de Renoir, et est de façon concevable la première image d’elle dans l’oeuvre de l’artiste.

La beauté et la sensibilité des peintures de femmes par Renoir, surtout les portraits, ont été universellement acclamés depuis les années 1870, lors de la création du présent travail. En 1878, Théodore Duret a écrit : Renoir excelle aux portraits.. Je doute que n’importe quel peintre n’ait jamais interprété la femme d’une manière plus séduisante. Les touches habiles et vives des brosses de Renoir charment, souples et sobres, rendant transparente la chair et teintant les joues et les lèvres avec une parfaite teinte vivante. Les femmes de Renoir sont des enchanteresses.. Vous aurez une maîtresse. Mais quelle maîtresse ! (cité dans N. Wadley, ed., Renoir, une Rétrospective, New York, 1987, p. 120). Huysmans a concouru, écrivant dans 1883 : Il est le vrai peintre des jeunes femmes, il rend, dans ce soleil étincelant, Le lustre de leur peau tendre, le velours de leur chair, le lustre de leurs yeux, l’élégance de leurs modes. (cité dans ibid., p. 156). L’année suivante, Octave Mirbeau a aussi loué les portraits féminins de Renoir: Il est véritablement le peintre des femmes, alternativement gracieux et émouvant, connaisseur et simple, et toujours élégant, avec une sensibilité visuelle exquise, une touche légère comme un baiser, une vision aussi pénétrante que celle de Stendhal. Non seulement il donne un sens merveilleux du physique, les modulations délicates et les tons éblouissants des jeunes teints, il donne aussi un sens de la forme de l’âme, tout musicalité interne de la femme l’intérieur et mystère enchanteur. Contrairement à la majorité des peintres modernes, ses figures ne sont pas gelées par-dessus par les couches de peinture ; animées et pleines de vivacité, elles chantent la gamme entière des tons brillants, toutes les mélodies de couleur, toutes les vibrations de lumière.. Je ne comprends pas pourquoi toutes femmes n’ont pas leurs portraits peints par cet artiste exquis, qui est aussi un poète exquis, et qui est pour M. Jacquet, le peintre portraitiste à la mode, ce que Victor Hugo est à un débiteur de chansons d’amour (Cité dans ibid., p. 165). En 1885, Emile Verhaeren continua dans cette veine, écrivant : Les sujets préférés de Renoir sont des femmes, et  surtout les jeunes filles. Sa brosse est superbe pour capturer leur ingénuité et leur chasteté rougissante – le bourgeon devenant une fleur.. Rien n’est plus frais, plus vivant et palpitant avec le sang et la sexualité, que ces corps et ces faces comme il les peints. D’où viennent-elles, ces légers et vibrants tons qui caressent des bras, les cous et les épaules, et donnent une sensation de chair et de douce porosité ? Les arrière-plans baignent d’air et de lumière ; ils sont vagues parce qu’ils ne doivent pas nous égarer (Cité dans ibid., p. 167).

Toutes ces citations pourraient être appropriées à Jeune fille au bouquet de tulipes. Dans le présent travail, Renoir couvre une bonne partie de la face du modèle avec son chapeau et ses cheveux, et l’a pose son dos légèrement tourné au spectateur. Clairement, il trouve cet arrangement très attrayant et suggestif ; il a utilisé des variations de cette pose à maintes reprises, dans les travaux de portraits et à figures multiples. Voir par exemple, la fille à l’extrême droite dans Les parapluies (vers 1883, National Gallery, London); la femme dans le premier plan à gauche de La tonnelle (au Moulin de la Galette ) (Musée d’Orsay, Paris); Aline Charigot dans Les canotiers à Chatou (1879 National Gallery of Art, Washington, D.C); Aline Charigot dans Le déjeuner des canotiers (1881 Phillips Collection, Washington, D.C.); La place Clichy (vers 1880, Fitzwilliam Museum, Cambridge);  Au Théâtre ; et littéralement des douzaines de portraits.

Renoir a souvent fait des portraits de ses modèles, dans l’espoir de vente les images sur un marché ouvert et spéculatif. Jeune fille au bouquet de tulipes a presque certainement été fait comme un travail de ce genre.  C’est à dire que son but primaire n’était pas d’enregistrer les traits d’un individu spécifique, mais plutôt d’exprimer ou de transmettre une image idéale d’une jeune beauté féminine. Certainement, c’est une image idéalisée, et les caractéristiques de la fille — ses cheveux auburn, ses lèvres"bee-sung" (anglais), le nez court, le petit menton arrondi — est conforme à la conception personnelle de Renoir de la beauté féminine. Etant donné la généralité du tableau, il est difficile d’identifier avec une totale certitude quel modèle a pu s’asseoir pour l’image. Basées sur la comparaison avec ses autres travaux, les possibilités les plus probables sont Marguerite Legrand ou Aline Charigot, sa future femme. Marguerite, ou Margot, Legrand est entrée dans la vie de Renoir en 1875 et fut son modèle préféré jusqu’à sa mort tragique en 1879. Selon Barbara Ehrlich White, « Sa forte réaction sur sa maladie et mort en 1879 suggère qu’ils étaient amoureux. Ceci expliquerait pourquoi le thème de la romance fleurit dans ses tableaux à partir de 1875, comme dans Les Amoureux et Confidences. Margot a posé aussi affectueusement dans la Femme avec un Chat " (B.E.White, Renoir, Sa Vie, Son Art et Lettres, New York, 1984, p. 51). Indiscutablement, la fille dans le présent travail porte une similarité générale à plusieurs portraits de Margot, par exemple pour le Portrait de Margot et La liseuse, les deux datant de 1877. Mais la jeune femme dans Jeune fille au bouquet de tulipes ressemble aussi à Aline Charigot, que Renoir a rencontrée à l’automne 1879. Le premier tableau dans lequel elle apparaît est sans aucun doute Les canotiers à Chatou de cette année ; elle a aussi servi de modèle pour la coquette femme au premier plan gauche du Déjeuner des canotiers. La similitude frappe, et il est ainsi possible que Jeune fille au bouquet de tulipes soit parmi les premières représentations d’Aline dans l’oeuvre de Renoir. Jean Renoir a commenté : du moment qu’il a tenu une brosse pour peindre, peut-être même avant, peut-être même dans ses rêves d’enfant, trente années avant qu’il ne la connaisse, Renoir peignait le portrait d’Aline Charigot… quels que soient les sujets peints de son propre choix, il retournait aux caractéristiques physiques qui étaient essentiellement ceux de sa future femme (cité ibid., p. 357).

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